Plan du site   |   Recherche   |    Contactez-nous

 
 


                         

Lettre aux adhérents # 1

Septembre 2001

Chers amis

Peut-être, ne me croirez-vous pas si je vous dis que c’est très difficile de s’asseoir et pouvoir se concentrer plus de 5 min pour écrire une lettre : «Stéphanie, tu m’aides à faire mes devoirs ? ... Tu n’as pas du riz ?... J’ai mal à la tête... Je me suis disputée avec mon mari... Accompagnes-moi..., etc.»
Mais je pense à vous tous les jours, et c’est bien grâce à votre soutien si je peux répondre à toutes ces demandes. J’imagine que vous attendiez avec impatience des nouvelles des petits colombiens et de l’évolution du projet «Caminos de Esperanza».

L’arrivée du projet en Colombie

 
Voilà maintenant 4 mois que je suis arrivée à Barrancabermeja et que je vis dans le barrio (quartier) Arenal. L’achat de la maison a pris un long mois à cause de problèmes de banque et d’argent bloqué. J’ai réussi à négocier un peu le prix (15 000 Frs) car le terrain est relativement grand mais il y a beaucoup de travaux à faire dans la maison.

Celle-ci est en briques d’un côté et en bois de l’autre ; il n’y a pas encore d’installation d’eau à l’intérieur et le toit est une vraie passoire ; parfois j’ai un peu l’impression de faire du camping mais cela ne me fait pas de mal car je n’ai jamais fait de scoutisme et je n’ai pas à me plaindre, pour certains c’est un château !
Un architecte m’a donc aidée à faire les plans pour en faire une vraie maison d’accueil : la surélever de plus d’un mètre pour éviter les inondations, l’agrandir avec une grande salle pour les activités, une autre chambre et une salle de bain.

La mairie (les «oeuvres publiques») m’aide pour tout ce qui concerne la maison ; mais les fonds réservés à Caminos de Esperanza ont été volés ! Je dois donc me débrouiller pour me procurer les matériaux. J’essaie d’obtenir le maximum gratuitement, la mairie m’offre la main d’œuvre, 14 camions de terre et un camion pour tout transporter (terre, ciment, briques, fer etc.). Je présente le projet à
toutes les entreprises de matériaux et j’obtiens des réductions partout ;

quant aux briques je peux les acheter directement au four et les jeunes du quartier m’aident à les charger et les décharger du camion. C’est super, jamais je n’aurais pensé pouvoir être maçon un jour ; ici, on apprend vraiment de tout !Le projet se fait connaître de plus en plus dans la ville et les journaux locaux et régionaux nous font pas mal de pub.

La paroisse a accueilli plus que favorablement le projet et est prête à nous aider, entre autre en nous envoyant des psychologues et des personnes compétentes pour travailler dans la maison chaque semaine avec les enfants et les jeunes.

J’ai aussi une petite liste de parrains pour aider encore plus d’enfants à aller à l’école, mais c’est vrai que pour un colombien, 350 Frs représentent une somme importante. En France vous êtes 25 à parrainer des enfants, en Colombie, une quinzaine ; la rentrée est en février, d’ici là nous pourrons certainement en inscrire une cinquantaine ! La semaine prochaine avec un ami, nous prendrons des photos de chaque enfant pour que vous puissiez faire connaissance avec eux.

Le projet Caminos de Esperanza fait l’unanimité à Barrancabermeja, ainsi que dans le quartier Arenal et même auprès des paramilitaires qui respectent maintenant tout ce que je fais.

Situation politique et sociale

 
Depuis un an et demi, les paramilitaires sont arrivés en force dans la ville pour lutter contre la guérilla qui était très présente à cause du pétrole. Les quartiers pauvres sont les plus touchés, c’est le cas d’Arenal où les paramilitaires surveillent jour et nuit. Au début ce n’était pas très rassurant de se savoir épiée en permanence, mais le quartier s’est énormément amélioré ; les paramilitaires font régner l’ordre et ceux qui ne respectent pas les consignes sont sévèrement punis, voire tués !
Quant aux familles, rien n’a changé : il faut lutter chaque jour pour nourrir les enfants, payer les factures, et on ne trouve pas toujours du travail.
Au niveau de la santé, beaucoup ont perdu toute aide sociale en raison de la fermeture de certaines entreprises de santé. Il faut donc payer le médecin, les médicaments et comme il n’y a pas d’argent parfois, on ne se soigne pas ou bien on invente des remèdes de sorciers ou bien... on va voir chez Caminos de Esperanza...
Certains enfants scolarisés vont arrêter avant la fin de l’année : trop de retard ou nécessité de garder la petite sœur, de travailler pour gagner quelques sous, etc... Le gouvernement souhaite privatiser toutes les écoles, cela veut donc dire que les inscriptions sont plus chères....

Activités

 
Le projet en lui-même ne pourra véritablement débuter que lorsque la maison sera entièrement terminée, mais cela ne m’empêche pas de travailler les objectifs proposés.
C’est vrai que les journées ici sont plutôt longues et je n’ai pas vraiment le temps de m’ennuyer. Les enfants peuvent venir me chercher dès 5 h00 du matin pour les accompagner vendre des beignets faits maison, ou aller chercher des «desperdicios» ( restes de nourriture). Pour l’instant toutes mes journées sont différentes : rendez-vous pour présenter le projet, visite des familles qui ont des problèmes, construction de la maison, partage avec les enfants, discussion avec les jeunes et quelques cours d’anglais et de français que je donne pour donner l’exemple du travail et pour gagner ma «croûte».

Avec les jeunes nous avons plein d’idées pour financer des activités éducatives, des sorties, etc. et chaque soir dans la maison nous aurons un atelier ou une activité différente selon ce qu’ils choisissent. La maison sera ouverte de 08h00 à 11h30 et de 14h30 à 17h30, pour que les enfants apprennent à faire leurs devoirs à des heures normales et non pas au dernier moment à 23h .
J’essaie le plus possible d’emmener les enfants à la messe ; tous les jours ils viennent me voir : «Estefany, vamos a misa ?»
( Stéphanie,

nous allons à la messe ?), et après avoir demandé la permission à leur mère, ils reviennent transformés, tout propres et habillés !

J’ai rencontré un groupe de jeunes qui travaillent à l’hôpital et qui sont super motivés pour nous aider. Nous allons faire très prochainement une campagne de «déparasitage», recenser tous les enfants qui ont des parasites et faire le tour des hôpitaux et des pharmacies pour qu’ils nous donnent des purges et des vitamines pour les enfants entre 2 et 10 ans. En effet certains peuvent mourir des parasites, soit parce qu’ils sont dénutris, soit parce que cela prend trop d’ampleur et que les vers vont jusqu’à les étouffer en sortant par la bouche, le nez etc... Et oui, on ne s’imagine pas cela en France, sauf ceux qui regardent des films d’horreur ! Il faut apprendre aux mères à faire systématiquement bouillir l’eau, à ne pas asseoir les bébés directement dans la terre etc...

Dimanche, avec une amie, nous organisons une rencontre de jeunes dans le quartier. Premièrement, ils parleront de ce qu’ils souhaitent faire, travail, études, et nous invitons une personne qui sera capable de les orienter, les conseiller. Un groupe de danse a accepté de venir faire une petite représentation et enfin, nous continuerons la fête ensemble.

La mort

 
Ce doit être l’épreuve la plus grande et la plus difficile à accepter ; parfois même, cela donne envie de se révolter ; on ne comprend pas, on se sent responsable, peut-être aurait-on pu éviter le drame...

En raison de la situation du quartier, truffé de paramilitaires, ceux qui s’amusent à les critiquer ou à ne pas leur obéir, se font tous tuer, et personne ne peut rien dire ni rien faire pour empêcher cela.
Mais il arrive aussi que les paramilitaires se trompent. Cela a été le cas pour «La Mona», une dame âgée, ou plutôt une sainte qui n’avait jamais fait de mal à personne. Nous la connaissions très bien, c’était une grande amie du ¨Point Cœur. Un après midi, je la rencontre dans la rue, elle cherchait des «desperdicios» pour ses cochons ; je m’approche pour la saluer et elle s’effondre dans mes bras en pleurs et toute tremblante . Puis elle me raconte que la veille, les paramilitaires l’ont emmenée dans la montagne et l’ont punie car elle ne savait pas où se cachait un jeune qu’ils cherchaient et qui était le fils de la dame qui habitait chez elle. C’est alors que j’aperçois des paras qui l’ont suivie et écoutent notre conversation ; alors je la rassure, lui dis de ne pas s’inquiéter, qu’il ne faut pas qu’elle parle, et qu’elle rentre chez elle, qu’il ne va rien lui arriver car elle n’a rien fait. Je lui promets de venir la voir dans la soirée... Après la messe de 19h30, ils ont coupé l’électricité, je ne me sens pas très rassurée et rentre directement chez moi. Le lendemain matin, les enfants viennent me chercher, c’est l’émeute totale, ils ont tué «La Mona», la dame qui habitait chez elle ainsi que son mari, laissant les 4 enfants aux pieds des morts. Quel spectacle d’horreur, et quelle tristesse au fond de mon cœur ! En fait il n’aurait pas fallu qu’elle rentre chez elle, mais comment pouvais-je savoir, moi qui l’avais conseillée, qu’ils allaient s’attaquer à des innocents. J’ai envie de crier, je suis révoltée, mais les gens qui ont plus la Foi que moi, me calment et m’assurent que Dieu lui a réservé une grande place à côté de Lui ; elle le méritait cela : elle avait mené une vie tellement difficile !

Sandra est une jeune fille de 17 ans, elle a eu son premier bébé à 15 ans et le deuxième à 16. Elle venait souvent me voir pour l’aider à acheter des médicaments pour ses 2 filles très dénutries. évidemment, je l’ai aidée à trouver des vitamines et du lait, mais je  voulais qu’elle aussi, de son côté, fasse des efforts avec son mari pouracheter ce qui manquait. Parfois il est difficile de vérifier ce que

les gens font et souvent ils ont l’habitude de mentir. Résultat, Sandra a perdu sa fille aînée car elle pensait que la moitié des médicaments lui suffirait ! Cela lui a permis de réfléchir et de réagir et elle s’occupe maintenant très bien de la seconde. A l’enterrement, elle ne pleurait pas, elle me disait que c’était un ange qui était allé directement au ciel.

Beatriz était une amie de 35 ans environ qui, il y a à peu près un an a commencé à se sentir malade. Bien sûr on ne se fait pas faire d’analyse, et on se soigne comme on peut en pensant que le mal va passer. Mais ce mal ne passait pas et elle commençait à beaucoup maigrir. Quelques mois après la paroisse l’a aidée à se faire faire des analyses, et on a découvert qu’elle était atteinte du Sida. Dans le quartier, les gens ne savent pas vraiment ce que c ‘est, ni comment cela s’attrape, et ils croient qu’avec des médicaments elle pourra guérir.
Elle ne voulait pas quitter sa famille et vivait dans des conditions horribles. J’essayais d’aller lui parler tous les jours et je la trouvais étendue dans la terre, chez elle, recouverte de diarrhée et morte de soif. Nous nous relayions pour la laver, lui mettre une perfusion, lui donner à manger et à boire et , surtout, ne pas l’abandonner et la considérer comme les autres en lui apportant tout notre amour. Son mari a disparu, peut-être est-il allé contaminer d’autres femmes ?! Quant à Beatriz, le Seigneur a mis fin à ses souffrances.
Nous essayons maintenant de suivre un peu ses enfants : Johanna, 18 ans, seule avec 2 bébés, Iris, 17 ans qui travaille parfois dans des endroits pour prostituées, et Kevin,11 ans qui ne veut pas étudier !
Le jour de la mort de Beatriz, je suis allée la voir avec ses enfants. Ici c’est une coutume de veiller le mort, tout le monde vient le voir ; les enfants se jetaient sur elle, lui parlaient pour qu’elle se réveille, pendant que dehors les hommes jouent aux cartes, boivent du café et se racontent des blagues. Sur le lit, il y a une pauvre femme complètement amaigrie, mais on veut se souvenir d’elle en bonne santé et on colle sur le cercueil de belles photos. Merci Seigneur de lui avoir donné le repos et veillez sur ses enfants !

Je remercie tous les adhérents au projet, continuons ensemble à lutter contre la misère. Chaque jour, grâce à vous, je vois tant de beaux sourires, tant de remerciements, je partage tant de choses que je n’ai besoin ni de mon canapé, ni d’un bon plat de lasagnes, ni de ma télé ou d’une voiture ; tout mon bonheur est dans le regard de chaque personne que je rencontre.

Que demander de plus qu’une super famille qui se préoccupe pour moi, d’amis qui me soutiennent, des prières qui sont toujours écoutées et des sourires et des cris d’enfants à ma fenêtre !
Prions pour la paix dans le monde et luttons contre le diable.

Je vous embrasse tous très fort. Je suis de retour en France le 03 décembre, n’hésitez pas à me contacter.
Merci pour tout. Dios les bendiga y les guarde de todo mal.

Stéphanie Peix

 


 
Partenaires |   Webmasters   | Nous contacter

© 2002-2007 Caminos de Esperanza